lundi 6 avril 2009

Le jeune homme au bain

Je suis en train de lire des contes coquins de La Fontaine, tout aussi plaisants que ses célèbres fables animalières, mais d'un tout autre registre et à ne pas mettre sous des yeux enfantins! Toutefois, bien que ces histoires soient souvent très crues, notre aimable La Fontaine n'a rien des Laclos, Casanova et Sade du siècle suivant : chez lui, nulle perversité, nulle brutalité, mais des plaisirs réciproques, de la fraîcheur, et beaucoup d'humour, souvent dans la chute de l'histoire.

Le conte que j'ai choisi d'évoquer pour vous aujourd'hui s'appelle « Le cas de conscience ». C'est un des rares où il n'y a pas de passage à l'acte (gardons un peu de pudeur dans ce blog!), mais ce qui m'a surtout plu, c'est qu'il inverse un célèbre motif de la littérature et de l'art pictural, depuis Artémis et Actéon dans la mythologie grecque ou Bethsabée et David dans la Bible : celui de la femme au bain surprise par le regard d'un homme.
Ici, c'est au contraire la bergère Anne qui surprend un jeune garçon se baignant nu dans la rivière. La description de la scène est d'une beauté et d'une grâce dont je veux vous faire profiter:
« Anne ne craignait rien ; des saules la couvraient
Comme eût fait une jalousie :
[le sens de « jalousie » est bien sûr ici celui d'un volet à fentes étroites]
Ça et là ses regards en liberté couraient
Où les portait leur fantaisie ;
Ça et là, c'est-à-dire aux différents attraits
Du garçon au corps jeune et frais,
Blanc, poli, bien formé, de taille haute et droite,
Digne enfin des regards d'Annette.
D'abord une honte secrète
La fit quatre pas reculer,
L'amour huit autres avancer ;
[...] »
Bref, Anne est cependant si sage qu'elle s'éclipse dès que le garçon sort de l'eau, craignant qu'il ne profite de la situation s'il l'apercevait, et si scrupuleuse qu'elle révèle toute l'histoire au curé lors de sa confession. Ce dernier fait les gros yeux :
« C'est, dit-il, un très grand péché.
Autant vaut l'avoir vu que de l'avoir touché. »
Et il lui impose un tribut à payer. Elle lui apporte alors un brochet (que vient de lui offrir après l'avoir pêché – devinez qui! – Guillot, le fameux beau garçon, qui semble entre temps avoir gagné sa sympathie!). Le curé lui demande d'accomoder ce poisson chez elle et de le lui apporter, car il a justement invité de nombreux confrères à dîner. Ces derniers arrivent, on discute, on boit, on commence le dîner, on achève le dessert... Anne ne revient toujours pas avec le brochet! Elle a finalement préféré s'en régaler avec Guillot! Le curé, furieux, l'envoie chercher. Mais la jeune fille ne se démonte pas :
« Anne dit au prêtre outragé :
Autant vaut l'avoir vu que de l'avoir mangé. »

*

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1 commentaire:

  1. Écho à cet article sept ans plus tard :
    http://cheminsantiques.blogspot.fr/2016/11/croisements-de-regards-en-eaux.html

    RépondreSupprimer